L’Hostellerie de la Pointe Saint‑Mathieu, l'auberge du bout du monde
L’Europe finit là, ou presque. Depuis trois générations et pile 70 ans, une famille, les Corre, y reçoit dans une auberge devenue hostellerie, et désormais table gastronomique. L’Hostellerie de la Pointe Saint-Mathieu défend une Bretagne farouchement indépendante, à la fois rurale et iodée.
Quand ils passent la porte, quasi tous ont le même regard. Celui qui cherche ce qui a changé, celui qui cherche le repère qui n’aurait pas bougé, une tête connue même, pourquoi pas. Quasi tous sont déjà venus, « du temps des parents », « à l’époque des grands-parents », « avant que ce soit refait », « il y a quelques semaines et je voulais montrer à mes parents ce que vous aviez fait ». Quasi tous ceux qui passent la porte de l’Hostellerie de la Pointe Saint‑Mathieu sont familiers des lieux, de son histoire, fiers même pour certains d’y avoir contribué. Ils ont ce pas à la fois hésitant de celui qui ne voudrait pas réveiller un ancien qui se serait ensommeillé enfoncé dans son vieux fauteuil défoncé et assuré de celui qui sait parfaitement où il va – lui à droite vers le gastro, l’autre à gauche vers le bistrot ou sa chambre (la 23, plein ouest, avec vue à 180°).
L’Hostellerie appartient aux hommes comme à la terre, au même titre que cette abbaye qui, dit-on, rayonne depuis le VIe siècle et fut l’un des points de départ vers Saint-Jacques-de-Compostelle ; que ce phare qui illumine la nuit depuis 1835 et porte sa lumière jusqu’à 29 miles marins (55 kilomètres) ; que ce sémaphore construit, lui, en 1906… Au Moyen Âge, il y eut ici jusqu’à 1000 habitants, moines compris ; puis une centaine d’âmes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, il n’y a plus d’école, il faut aller au Conquet ou au bourg, à Plougonvelin. On passe, on se promène, on va voir depuis le sentier côtier la presqu’île de Crozon, la pointe de Pen‑Hir et ses Tas de Pois et même, par temps clair, la pointe du Raz ; on regarde passer le ferry qui rejoint Ouessant ; on vient sentir les forces telluriques d’une terre de légendes, les forces brutes de la nature… On passe, donc, et on s’arrête. Chez les Corre.
Un bout du monde
Lorsqu’ils décident d’acheter cette auberge du bout du monde, Francine et Émile Corre n’imaginent sûrement pas que, 70 ans plus tard, leur descendance en aura fait une destination gastronomique. On raconte que cette vieille bâtisse en granit avec cheminée monumentale est une auberge depuis plus de mille ans. Elle a accueilli pèlerins, marins, paysans, ouvriers, écrivains et peintres aussi peut‑être… Lorsque le jeune couple (elle n’a pas 25 ans) s’installe au pied de l’abbaye de Saint‑Mathieu de Fine‑Terre, en 1954, la Bretagne souffre, mais avance à marche forcée vers la modernité, sans penser à ses excès. Les Corre ont le sens du travail, de l’effort et de la débrouille. Lui, menuisier, va aller récupérer les meubles laissés là dans les blockhaus du mur de l’Atlantique par des Allemands en déroute, et leur donner une seconde vie. Il aménage un peu à la cloche de bois cinq chambres pour les visiteurs d’un soir, elle se met en cuisine.
Francine et Émile reçoivent ceux qui, comme eux, veulent goûter de ce bout du monde décrit avec emphase par Jules Michelet : « C'est la limite extrême, la pointe, la proue de l’ancien monde. Là, les deux ennemis sont en face : la terre et la mer, l’homme et la nature. Il faut la voir quand elle s’émeut, la furieuse, quelles monstrueuses vagues, elle entasse à la pointe Saint-Mathieu, à cinquante, à soixante, à quatre-vingts pieds ; l’écume vole jusqu’à l’église où les mères et les sœurs sont en prière. Et même dans les moments de trêve, quand l’océan se tait, qui a parcouru cette côte funèbre sans dire ou sentir en soi : Tristis usque ad mortem ? » Malgré l’austérité d’une vie battue par les vents (193 km/h lors de la dernière tempête Ciarán), leur fils Philippe et sa femme, Brigitte, vont assurer la relève. Il prend les commandes de la cuisine, elle de la salle. Ils vont agrandir, construire, transformer, s’étendre, jouer au jeu des maisons musicales. Certains viennent désormais à la pointe Saint‑Mathieu en villégiature.
Une maison en perpétuel mouvement
Tanguy, le fils, les rejoint, « naturellement ». Puis Nolwenn, la fille, en 2015. Avec une seule idée, dans sa tête à elle : « Faire de la maison une table gastronomique. » Tous vont finalement se mettre au service de son talent, de son instinct et de son ambition. En 2018, la passation entre générations est complète. La cheffe, toute jeune, mais au parcours sans faute (Yannick Alléno époque Meurice, Christian Le Squer au Pavillon Le Doyen, à Paris, puis Jean-Luc L’Hourre au Marinca, en Corse), va bousculer, prendre à rebrousse-poil parfois : « C'est notre devoir de faire découvrir autre chose, un autre regard. » Nolwenn va repousser les limites avec une cuisine iodée. « Le regard des gens sur la maison est toujours doux », elle ne sent donc aucun frein et se sent même pousser des ailes. Alors, elle fonce. La cheffe profite de l’arrivée d’une nouvelle génération d’agriculteurs, plus responsables et engagés qui la soutiennent, mais la poussent aussi un peu plus loin dans ses retranchements. La table gastronomique et le bistrot sont désormais le cœur battant de l’Hostellerie, une maison en mouvement. Vers toujours plus d’excellence, mais sans jamais oublier son passé. Dans l’entrée du restaurant, regardez bien. Il y a toujours Francine, la grand-mère, avec Paulette et Janine en plein conciliabule. Ce sont Les Trois Commères de Louis-Henri Nicot, une faïence éditée par Henriot, qui, pour le frère et la sœur, symbolise ce fil invisible qui les lie à leur histoire.
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