Pierre Gagnaire en 5 plats
L’emblématique Pierre Gagnaire, Membre de l’Académie Gault&Millau, revient pour nous sur ces plats qui ont marqué sa carrière et son univers culinaire.
Figure incontournable de la gastronomie française, Pierre Gagnaire (5 toques et Membre de l’Académie Gault&Millau) est un poète de l’assiette, un explorateur du goût, un créateur inlassable. Son parcours, marqué par l’audace et une fidélité viscérale à son identité culinaire, a influencé des générations de cuisiniers. À travers cinq créations, il se confie sur ce qui a forgé sa carrière, ses inspirations, ses émotions.
Le plat dont il est le plus fier : le cocktail de poche
Avant même que le repas ne commence, Pierre Gagnaire place la barre haut. Ce dont il est le plus fier ? Un « cocktail de poche composé de six petites entrées », servi comme mise en bouche à la carte. Une idée née d’un souvenir : « J’ai été inspiré par ce que j’avais vu chez Alain Chapel, qui proposait trois petites salades sur sa carte. » Ce préambule culinaire change constamment, au rythme des saisons. « Il faut absolument qu’elles soient bien reliées à la saison », insiste le chef. Plus qu’un amuse-bouche, ce « cocktail de poche » est une déclaration d’intention, un manifeste de sa cuisine en miniature : multiple, précise, intuitive.
© Maki Manoukian
Le tournant de sa carrière : une cuisine d’auteur
Pas de plat signature chez Pierre Gagnaire, mais une vision. Ce qui l’a révélé, ce n’est pas une recette précise mais « l’esprit de [sa] cuisine ». Un esprit que le célèbre critique Henri Gault a su percevoir et défendre avec enthousiasme. « Je n’ai jamais fait quoi que ce soit pour leur faire plaisir, mais ce que j’étais correspondait à l’esprit défendu par Henri Gault et Christian Millau. » Une cuisine « vivante, créative, joyeuse, impertinente », selon Pierre Gagnaire. « Ils ont mis des mots sur des émotions culinaires. Ils ont créé de l’envie en décrivant ce qu’ils mangeaient à table. Cette liberté, j’en ai usé et abusé. » Mais si le chef refuse de parler d’un tournant précis dans sa carrière, un souvenir reste gravé : « J’ai sauté au plafond lorsqu’ils avaient écrit que Lenôtre n’avait qu’à bien se tenir, car mes chocolats étaient exceptionnels. »
Un hommage à un souvenir : Le Rouge
Dans sa mémoire, un plat aux couleurs vibrantes, profondes, puissantes : Le Rouge, hommage au peintre chinois Zao Wou-Ki, client du restaurant à Paris en 1996. Le plat associait gambas de Palamós et betterave rouge dans une composition rouge sang, pourpre, violine. « Pour moi, c’était un hommage à l’âme de ce peintre que j’adore. » Servi pendant un an et demi autour de 1998, Le Rouge n’est plus à la carte aujourd’hui, mais il reste un souvenir marquant pour le chef : une peinture comestible, un hommage vibrant à l’art et à la rencontre.
Le plat préféré des clients : la déclinaison de langoustines
Si Pierre Gagnaire refuse le concept de « plat signature », certains plats marquent les esprits et fidélisent les palais. Parmi eux, une déclinaison autour d’un produit : la langoustine. « On était parmi les premiers à faire des déclinaisons autour d’un produit. » Tartare, consommé, royale, dim sum, grillée, poêlée au beurre : la langoustine devient caméléon et traverse les décennies, se réinventant sans jamais se trahir. « Un plat qui traverse le temps mais qui évolue au travers des années. »
Sa madeleine de Proust : le soufflé au chocolat
Un classique, une évidence, une douceur éternelle. Pour Pierre Gagnaire, c’est le soufflé au chocolat. Un plat découvert dans un livre devenu totem pour toute une génération : « Je ne suis pas un grand lecteur des livres de cuisine, mais comme tout cuisinier de ma génération, j’ai lu attentivement le Guide Escoffier. » C’est là qu’il tombe sur la recette de l’omelette soufflée, qu’il transformera en biscuit soufflé au chocolat.
© Maki Manoukian / Jacques Gavard
Ce dessert accompagne sa carrière depuis ses débuts : « C’est le seul plat qui reste à la carte depuis 1981. Il évolue un peu mais il est d’une simplicité absolue et les gens aiment bien. » Une douceur fidèle, sans fard, comme un fil rouge dans la carrière d’un chef en perpétuelle mutation.