L’Hôtel de Crillon, A Rosewood Hotel, un palace contemporain, témoin des grands événements de l’histoire
Chaque mois, Gault&Millau vous propose une plongée dans l’histoire d’un grand hôtel parisien. Pour clôturer octobre, partez à la découverte du mythique Hôtel de Crillon.
Un palace “résidentiel”, en plein cœur de l’un des lieux les plus célèbres au monde. Sur la place de la Concorde, au numéro 10, l’Hôtel de Crillon est un havre de paix pour celles et ceux souhaitant rester discrets. Mais derrière son apparente quiétude se cache une histoire riche, qui commence dès le XVIIIᵉ siècle.
Adresse de la royauté
Construit en 1758, le bâtiment voit le jour comme symbole de la puissance de Louis XV. Le roi passe commande auprès du renommé Ange-Jacques Gabriel, architecte de certains espaces du château de Versailles. Pensé pour accueillir des personnalités haut placées, des délégations et des familles royales, le lieu devient propriété de la famille Crillon dès 1788.
Une phrase gravée à droite de l’entrée du Jardin d’hiver fait référence à ce lien durable entre les Crillon et l’aristocratie : « Pends-toi, brave Crillon, nous avons combattu à Arques, et tu n’y étais pas. » Cédric Waterkeyn, hôtel manager, explique : “La citation peut sembler violente, mais c’était une petite moquerie entre amis. Il s’agit de l’extrait d’une lettre envoyée par le roi Henri IV à son camarade d’armes, le duc Louis des Balbes de Berton de Crillon. Blessé, ce dernier n’avait pas pu le rejoindre sur ce champ de bataille. Tous deux vivaient à la même époque et s’entendaient très bien, en plus de combattre ensemble.”
La mémoire d’illustres personnages est conservée dans les murs du palace. On dit notamment que Marie-Antoinette suivait des cours de piano à cette adresse. Entre 1789 et 1792, la reine venait régulièrement, lorsque sa résidence se trouvait aux Tuileries, à deux pas de là. Une suite et un salon portent désormais son nom.
© Reto Guntli
Témoin de l’histoire moderne
Le lieu traverse les grands événements français : la Révolution, la chute de Napoléon… En 1909, l’architecte Walter-André Destailleur transforme l’édifice en hôtel de luxe. La chapelle du deuxième étage, construite sur demande de la femme du duc de Crillon pour commémorer ce dernier, devient la suite “Duc de Crillon”. Dix ans plus tard, le Salon des Aigles accueille la signature du pacte de la Société des Nations, prédécesseur de l’ONU. Lors de la rénovation récente, Aline Asmar d’Amman, architecte et directrice artistique, a repris sur les rideaux l’encre ayant servi à la signature du traité.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’hôtel est réquisitionné par les Allemands.
Adresse de renom
Dans les années 1930, puis à nouveau dans les années 1950, Charlie Chaplin séjourne au Crillon, contribuant à la légende du palace qui attire les plus grandes figures de son temps. Dès cette même décennie, l’hôtel devient aussi un haut lieu de la mode, accueillant des défilés prestigieux. C’est également au 6ᵉ étage que Leonard Bernstein compose une partie de West Side Story dans une suite qui portera désormais son nom.
En 1998, l’équipe de France de football célèbre sa victoire à la Coupe du Monde depuis les balcons. Plus récemment, les clients profitent d’une place privilégiée pour suivre les épreuves olympiques dans le parc urbain de la place de la Concorde. Fin août 2024, la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques y est également accueillie.
Au fil des décennies, le Crillon demeure ainsi un témoin privilégié des grands événements français, mêlant art, culture et élégance.
© Reto Guntli
La renaissance contemporaine
Propriété du Rosewood Hotels Group, l’Hôtel de Crillon subit de grands travaux de rénovation entre 2013 et 2017. Avec 10 suites signature et 124 chambres (contre 147 auparavant), les espaces sont repensés et agrandis, tout en préservant les traces du passé. La façade et de nombreux murs sont classés au titre des Monuments historiques. Certains meubles sont installés « sans toucher les murs, pour ne rien abîmer », précise Cédric Waterkeyn.
À l’aube de ces travaux, Aline Asmar d’Amman écrit une lettre manuscrite à Karl Lagerfeld, lui proposant de designer les “Grands Appartements Présidentiels” du 4ᵉ étage. Le couturier accepte. Les suites, aux plafonds impressionnants, deviennent de véritables œuvres d’art : bibliothèque cachée pour le dressing, fontaines de Versailles transformées en lave-mains, baignoire en marbre italienne et photos imprimées à l’or dans certaines salles de bains.
© Reto Guntli
En 2017, après quatre années de travaux, une ambition perdure à l’inauguration : la volonté “qu’il y ait un esprit qui nous fasse se sentir comme à la maison”, ajoute l’hôtel manager.
Le restaurant de Paul Pairet, Nonos & Comestibles, s’inscrit dans cet esprit. Le premier est « un grill à la française avec une ambiance décontractée et une playlist très éclectique, gérée par le chef lui-même », souligne Cédric Waterkeyn.
© Amaury Laparra
Discrétion et service personnalisé
La confidentialité est extrême : “Avec George Clooney, par exemple, ou d’autres, même les directeurs ne sont pas au courant de leur présence”, révèle Cédric Waterkeyn, ancien chef des majordomes. “C’est le service qui fait la différence et rend ce lieu magique, avec nos presque 500 collaborateurs. Les majordomes sont les assistants personnels du client.”
L’entrée principale se fait place de la Concorde, tandis qu’une porte plus intime, le long de la rue Boissy d’Anglas, donne accès au spa et à la pâtisserie, pensée comme un écrin de bijouterie. Dans les suites, des niveaux de sol différents signalent les changements d’univers entre pièces modernes et classiques : “Dans une même suite, il y a différentes ambiances. On plaît à tout le monde, car il y en a pour tous les goûts.”
© Reto Guntli - Lauren Luxenberg
Chaque détail est pensé. Dans le Jardin d’hiver, une cave à liqueur Baccarat en forme d’éléphant a inspiré la peluche Benny. À l’entrée du palace, la mythique Citroën DS, designée par Tristan Auer, sert de “voiture de courtoisie” pour déposer les clients dans les restaurants.
Majoritairement des visiteurs américains, les clients découvrent la France d’antan avec des touches de modernité. Œuvres contemporaines et détails humoristiques ponctuent les couloirs de l’établissement, offrant une expérience unique entre histoire et design contemporain.