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François Pelletey, Hugo Genty et Didier Robin, cuisiniers, & Pierre Vandaële, jardinier, au château La Chenevière

François Pelletey, Hugo Genty et Didier Robin, cuisiniers, & Pierre Vandaële, jardinier, au château La Chenevière

Sylvie Berkowicz | 21/08/2023
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Au-delà de l’image devenue classique du chef accroupi dans son potager, il y a, pour certains, un vrai travail de production maraîchère, qui implique une relation étroite et une complicité avec le jardinier. Ce dernier n’est plus alors cantonné au simple rôle de fournisseur pour la cuisine, si bien qu’on ne sait plus très bien lequel est au service de l’autre. Septième épisode de notre série de portraits croisés avec François Pelletey, Hugo Genty et Didier Robin, chefs au château La Chenevière, et leur jardinier Pierre Vandaële.

Ils sont trois. Trois chefs qui contribuent à faire du château La Chenevière, belle maison de famille normande, une destination gastronomique. Au Petit Jardin, le jeune François Pelletey apporte son dynamisme à cette table de bistronomie, dotée d’une grande et charmante terrasse. Au restaurant Le Botaniste, c’est Hugo Genty qui, sous la supervision de Didier Robin, chef des cuisines, propose sa vision gastronomique. Le point commun de ces offres se retrouve dans les deux potagers du domaine – l’un, récemment aménagé, fait 4 hectares –, dont la gestion est confiée au maraîcher Pierre Vandaële. Un jardinier hors du commun, qui ne se contente pas d’appliquer les principes de la permaculture mais qui, pour chacune de ses actions, réfléchit à l’impact sur la nature. Un homme qui se lie d’amitié avec une couleuvre, se passionne pour les amphibiens et travaille la terre de son exploitation et des potagers de La Chenevière avec l’aide de sa jument, Victoire. 

 

Gault&Millau : Parlez-moi de votre parcours et de ce qui vous a conduit à faire du maraîchage… 

Pierre Vandaële : Mon tout premier métier, c’était la taille de pierre. J’ai ensuite décidé de passer un diplôme de menuisier. Mais j’ai senti que ce n’était pas ma voie. Je me posais sans cesse cette question : qu’est-ce que j’aime le plus ? Ça a toujours été la nature. Je jardine depuis l’âge de 3 ans. Mon grand-père était mineur de fond dans le Nord, et le jardin ouvrier y était très important. Je suis parti faire un BTS gestion et protection de la nature, mais, à cette période, on était en train de supprimer les crédits à l’environnement. Pour 1 000 BTS, il n’y avait que 10 postes. Je me suis dit : j’ai un bout de terrain, une passion pour les variétés anciennes de légumes, donc j’ai peut-être un créneau. Quand je me suis installé, en 2003, ça a tout de suite marché. Les gens étaient très étonnés de voir des tomates de toutes les couleurs, différentes sortes de courges… 

G&M : Comment avez-vous connu La Chenevière et comment est né le grand potager ?  

Didier Robin : Ça fait vingt-quatre ans que je travaille au château et vingt ans que j’y suis chef. J’ai rencontré Pierre sur le marché de Bayeux, où il vend ses légumes tous les samedis. La relation s’est nouée comme ça, alors que je cherchais des produits bien précis. Il y a toujours eu un petit potager ici, surtout pour les herbes aromatiques. Mais, depuis que Pierre a repris les jardins du domaine, il y a trois ans, tout s’est considérablement développé, notamment avec la mise en place du nouveau potager.  

G&M : En 2003, étiez-vous déjà en bio et en permaculture ? 

P. V. : Oui, mais sans le savoir ! J’ai appliqué très tôt des principes de gestion des cultures. Pour moi, c’était du bon sens. De toute façon, je n’aurais jamais pu faire quelque chose qui n’est pas en lien avec la nature et la biodiversité. Je connais très bien le rôle des auxiliaires, comme les coccinelles, mais je me suis toujours refusé à les utiliser. En introduisant une espèce, on risque de tout déréguler. Dans ce cas, c’est ce qui s’est passé. Tout le monde a acheté des œufs et, maintenant, on se retrouve envahi par la coccinelle asiatique. Ces dernières mangent effectivement les pucerons, mais, quand elles ne trouvent plus rien, elles s’attaquent à la nourriture des espèces locales ! Pour ma part, je n’introduirais même pas un insecte qui vit à 10 ou 15 km de chez moi ! Je préférerai toujours une espèce déjà présente, qui a peut-être un rôle tout aussi bénéfique. Je laisse les bois morts, j’entretiens la mare, je ne tonds pas et, si je le fais, je conserve de hautes herbes pour permettre aux amphibiens de passer. Comme disait Bill Mollison [l’un des maîtres de la permaculture, NDLR] : « La permaculture, c’est travailler avec la nature et non contre elle. »

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G&M : Expliquez-nous comment vous avez organisé le grand potager ?  

P. V. : C’était un champ avec des talus en pente très raide sur lesquels on ne pouvait pas planter d’arbres, sinon le potager allait être complètement à l’ombre. Il n’y avait aucun espace pour se retourner, même avec un cheval. La première salve de plantations a consisté à reconstituer une haie bocagère avec, tous les 10 mètres, des arbres de haut-jet. Dans un second temps, on s’est occupé des strates arbustives, avec des arbres dont on coupe la tête, ce qui offre des abris aux chouettes chevêches, aux coléoptères… Puis on a mis les essences de bourrage entre chaque arbre. C’est la haie comestible. Cette année, par exemple, j’ai semé du poivrier de Tasmanie. On va aussi cultiver du Sichuan, des baies de goji… 

G&M : Savez-vous si ces espèces vont prendre ici ?  

P. V. : Je l’espère. De toute façon, quand on plante un arbre, il y a toujours un risque, même si c’est une variété locale. Il suffit qu’un lapin passe ! Je suis content parce que, apparemment, tous mes arbres ont repris. Je n’irrigue pourtant jamais. C’est également une particularité de mon travail : voilà plus de dix ans que je n’ai pas mis une goutte d’eau en plein champ. Et, malgré la sécheresse de l’année dernière, je crois que je n’ai jamais eu un aussi beau rendement. 

G&M : Comment travaillez-vous ensemble ? 

D. R. : Ça fait des années que je collabore avec Pierre. Une fois par an, on se réunit et on évoque nos souhaits pour l’année suivante. Il vérifie les catalogues, fait l’inventaire de ses graines et commande ce dont on a besoin. Au fur et à mesure des mois et des semaines, on voit ce qui va arriver. En fonction de ça, je commence à réfléchir à la carte et à ce qui va changer au niveau des garnitures.  

Hugo Genty : Ça part d’abord de Pierre Vandaële, puisque c’est lui qui a la connaissance et le savoir. Il peut nous dire si tel ou tel légume peut vraiment pousser en Normandie. On a beau vouloir, par exemple, de l’avocat, ça sera assez compliqué ! Sur cette terre argileuse, on ne peut pas non plus planter certaines variétés de carottes, de lentilles ou de haricots coco.  

D. R. : Parce qu’on avait toujours un problème de transition entre l’hiver et le printemps, entre l’été et l’automne, je lui ai demandé de produire des légumes secs. Il a cultivé une sorte de haricots, les teggia, dont je fais une garniture. Je lui ai aussi donné des graines d’une autre variété que mes parents avaient dans leur jardin. On travaille donc un peu plus sur les légumes secs pour les intersaisons.

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G&M : Visez-vous l’autonomie ? 

D. R. : Je ne pense pas qu’on puisse être autonome à 100%, mais on va faire tout notre possible. Les agrumes, forcément, on ne pourra pas. On a trouvé un producteur dans la Manche. Je l’ai contacté, mais, pour l’instant, faute d’une production suffisante, il ne prend pas de nouveaux clients. Mais on va exploiter le maximum de variétés cultivées ici, souvent peu communes en Normandie. Et, si on a des surplus, Pierre pourra les vendre sur le marché. 

P. V. : Il y a des choses que je ne produirai plus. Par exemple, l’endive de pleine terre. Je n’ai plus le physique. Il faut creuser des fosses, arracher les racines à la main dans la boue, les placer les unes à côté des autres, les recouvrir jusqu’au-dessus du collet et arroser. Puis il faut mettre un peu de cendre de bois pour éviter les champignons. Et ensuite, tapisser de terre sèche et poser une bâche noire sous un tunnel nantais. C’est trop dur. En plus, il y a quasiment dix ans que je ne paille plus au plastique. Quand j’en vois certains qui font du maraîchage en sol vivant en couvrant leur sol comme ça, je trouve que c’est une aberration totale ! 

G&M : Pourquoi avez-vous décidé de passer à la traction animale, en l’occurrence le cheval ? 

P. V. : Tout d’abord, je n’ai jamais aimé les tracteurs. La mécanique, les voitures, tout ça, ce n’est pas pour moi. Deuxièmement, je suis très sensible à la pollution. Je ne veux pas laisser à ma fille un monde dans un tel état. Il y a aussi le respect des sols. Les tracteurs les tassent énormément. Il n’était donc plus envisageable que j’utilise le mien. Je me suis dit : j’ai beau ne pas avoir assez de terre, j’ai beau avoir presque 50 ans, tant pis, je fais ma transition, je passe à la traction animale. Et ce n’est que du bonheur ! Je marche beaucoup, donc c’est bénéfique, et je trouve que je force moins. Je prends aussi moins de chocs dans le dos que sur un tracteur. Et puis, j’ai toujours adoré les animaux. Les chevaux sont particulièrement intelligents et sensibles. On peut entretenir avec eux des rapports extraordinaires. Je ne fais pas de différence entre un être humain et une bête. On a tous un cœur, un cerveau, des émotions. Même un serpent ! Cette couleuvre me reconnaît-elle ? Pourquoi ne fuit-elle plus ? La première fois, elle a filé vite fait. Au fur et à mesure des rencontres, parce qu’elle loge toujours au même endroit, elle n’a plus eu peur de moi. Les seuls animaux que j’élimine, ce sont les ragondins. Malheureusement, ce ne sont pas des espèces locales, mais une famille qui vient d’Amérique du Sud. Leurs seuls prédateurs sont les anacondas, les piranhas, les jaguars… et ils sont en train de détruire les populations de campagnols amphibies et de musaraignes aquatiques, qui ont la même niche écologique.  

G&M : Votre travail en cuisine a-t-il changé depuis la création du potager ? 

D. R. : On respecte encore plus le produit parce qu’on connaît l’activité de Pierre et l’énorme effort qu’il s’impose.  

H. G. : Le premier potager, c’est déjà ce qui m’avait plu ici, quand je suis arrivé il y a dix ans. Avant que ce ne soit la mode, il y avait cette conscience de se dire : on a des terres, autant les exploiter pour faire des légumes au plus proche de la cuisine. Quand j’ai connu le chef, Didier, c’était une cuisine de producteurs sélectionnés, un vrai travail d’artisans, même pour une simple pomme de terre. Mais là, on est à un autre niveau. Avoir une variété de 5, 10 ou 20 sortes de choux, ça permet aussi de jouer avec les textures, les cuissons. Ça nous apporte plus de liberté dans la création. Même s’il faut savoir s’adapter en fonction de la météo ou autres. Il nous est arrivé de prévoir de cuisiner les navets nouveaux et d’entendre, deux semaines plus tard, Pierre nous dire : « Désolé, il y a des vers à l’intérieur et ils ne sont plus présentables… » 

G&M : Comment le contact avec les chefs fait-il évoluer votre travail ? 

P. V. : J’ai la chance d’être invité pour déguster les plats de chaque nouvelle carte. Et quand je vois ce qu’ils arrivent à faire… Tout ce qu’ils peuvent créer avec les poireaux, le chou kale, les petites chips de betteraves crapaudine, de topinambour… Avec les courges, pareil. L’année dernière, ils m’avaient fait goûter une petite mousse avec de la royal acorn, une courge verte en forme de noix de cacao. C’était juste incroyable. Tout cela enrichit énormément ma façon de procéder. Quand j’ai commencé, je cultivais plusieurs variétés de légumes, mais je n’arrivais pas à toutes les commercialiser. Là, d’un seul coup, je peux refaire ce qui m’amuse vraiment, semer d’anciennes variétés peu connues. Pour moi, ici, c’est une consécration. On reconnaît mon travail et on le sublime. 

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