À Paris, la cuisine bourgeoise n’a jamais été aussi moderne
Vol-au-vent, sole meunière, quenelles de brochet… Nombre de bistrots branchés, de tables haut-de-gamme et d’institutions parisiennes picorent dans les grimoires culinaires pour dépoussiérer des recettes du passé et les remettre au goût du jour.
Gare à la méprise ! L’expression "cuisine bourgeoise" est un paradoxe sémantique. Car on oppose à tort ses intentions à celles d’une cuisine populaire. Pourtant, il suffit de feuilleter le Grand Livre de la cuisine française de Jean-François Piège pour comprendre que toutes deux sont en fait issues de la même cocotte. Poule au pot, épaule d’agneau à la cuillère, bœuf bourguignon… La toque du Grand Restaurant à Paris sous-titre d’ailleurs son opus "recettes bourgeoises et populaires". Tout est dit.
Généralement, ce sont des recettes familiales, dont beaucoup alimentent les souvenirs d’un dimanche en famille passé autour de la table. Leur marqueur, c’est bien souvent aussi leur caractère roboratif, avec une présence de crème et de beurre assumée, à l’image du tout nouvel ouvrage de Joseph Viola, titré "La délicieuse cuisine traditionnelle française" (paru le 4 octobre 2024 aux éditions de La Martinière), agrémenté de bouchée à la Reine et de sole meunière. La cuisine dite bourgeoise est moins un style culinaire qu’une batterie de savoir-faire et de recettes qui ont évolué à mesure que la société française s’est transformée, comme le raconte si bien Maguelonne Toussaint-Samat dans son indispensable grimoire "Histoire de la cuisine bourgeoise : du Moyen Âge à nos jours".
Signe d’un temps nouveau, la cuisine bourgeoise démontre combien elle sait rester délicieusement moderne, grâce à une multitude d’établissements qui mitonne leur propre définition. La preuve par six.
La cuisine bourgeoise chez un multitoqué : La Ferme du Pré
Circulez, il n’y a donc rien de nouveau à dévorer ? En réalité, si ! Car à Paris, la cuisine traditionnelle française n’a jamais eu autant la cote, ressuscitant même les harengs pommes à l’huile quasi disparus des cartes. Imaginez : même le luxueux Pré Catelan s’est mis au goût du jour en ouvrant la Ferme du Pré, qui assume une allure d’auberge de campagne en réattribuant une fonction aux bâtisses de style anglo-normandes datant de 1905. "Cela fait 27 ans que j’ai ce projet en tête. J’ai toujours dit qu’il fallait imaginer un bistrot" nous confie Frédéric Anton. Et de compléter "vous avez l’impression de vous retrouver sur une place du village, grâce à cette situation en plein cœur du bois de Boulogne". Entre steak au poivre et blanquette de beau, quelque 150 plats ont été référencés dans un premier temps pour sculpter la carte et définir la trame culinaire. "Faire simple avec du grand chic », voilà comment résumer l’esprit du nouveau lieu", selon le grand chef.
La cuisine bourgeoise dans un hôtel de luxe : Nolinski
Tout a été décidé au printemps, mais saison estivale et Jeux Olympiques obligent, l’hôtel de luxe de l’avenue de l’Opéra a choisi la rentrée pour bouleverser entièrement l’expérience culinaire de son restaurant. "L’idée n’était absolument pas de suivre une quelconque tendance", nous assure le chef Philip Chronopoulos. "Précédemment, nous exécutions une cuisine du monde comptant sur des plats divers et variés. Nous avions fait le tour de cette cuisine festive" reconnaît-il. Volaille jaune rôtie au jus et pomme purée, macaronis aux morilles, gnocchis à la parisienne… Le Nolinksi revient aux classiques, tout comme le chef Chronopoulos révise ses gammes apprises à l’école Bocuse à Lyon. "J’ai parfait ma maîtrise des codes des traditions culinaires françaises en travaillant durant sept ans aux côtés des équipes Robuchon" tient à préciser Philip Chronopoulos. Pour la toque d’origine grecque, la cuisine bourgeoise, ce n’est rien de moins "qu’une cuisine gourmande et généreuse" qu’il ne faut pas dénaturer. "Nous devons la sublimer en réalisant de bons jus et de de savoureux bouillons maison, avec une viande bien sourcée. Il faut être précis dans les recettes" martèle-t-il. Le chef Chronopulos ne s’empêche pas pour autant quelques twists pour donner de la profondeur aux plats, comme ce morceau de gingembre dans la sauce blanquette. On ne sent pas sa présence, et pourtant elle fait toute la différence. En somme, ce sont des secrets de grand-mère. "Pour les œufs mimosa, je monte l’appareil avec une huile infusée au citron" révèle Chronopoulos. Et la garniture devient en effet bluffante de légèreté.
- Nolinski, 16 Av. de l'Opéra, 75001 Paris
- http://nolinskiparis.com
© Julie Limont
La cuisine bourgeoise dans une institution parisienne : La Fontaine Gaillon
Volaille de Bresse au vinaigre, oignons nouveaux et laitue, mais aussi fond d’artichaut au foie gras et praliné noix sésame… À la Fontaine Gaillon, depuis l’arrivée cet été de Marie-Victorienne Manoa, la cuisine bourgeoise prend sérieusement des airs de traditions lyonnaises, sinon de clin d’œil aux célèbres mères qui ont mitonné la réputation culinaire de la capitale des Gaules. L’ex-candidate de Top Chef, dont le passage cathodique n’est pas emblématique de son talent (elle est sortie en deuxième semaine, NDLR) poursuit dans la droite lignée de sa précédente expérience aux Lyonnais, sans manquer d’élargir son répertoire. La jeune cheffe revisite les grands classiques français, osant même se frotter à des recettes qui n’ont pas toujours laissé de bons souvenirs aux écoliers. Prenez la macédoine. Marie-Victorine Manoa l’affuble de pas moins de neuf légumes différents. Un exemple emblématique de l’accent végétal donné à la carte de cet emblématique restaurant, désormais sous la bannière Fitz Group.
- La Fontaine Gaillon, 1 Rue de la Michodière, 75002 Paris
- www.fitz-group.fr/fontaine-gaillon-paris
La cuisine bourgeoise dans un bouillon : Le Bouillon du Coq de Thierry Marx à Saint-Ouen
S’ils sont une version accessible de l’expérience au restaurant, les bouillons sont aussi le reflet d’une cuisine traditionnelle, sans chichi et pleine de réconfort. Selon le même esprit, Thierry Marx a ouvert sa toute première table du genre, en choisissant comme point de chute la ville de Saint-Ouen. Si la cuisine bourgeoise est celle des repas roboratifs, n’ayant pas peur des sauces et du beurre, la carte du Bouillon du Coq coche de nombreuses cases avec sa cuisse de poulet rôtie au jus et ses frites maison, son fish and chips et sa crème de haddock ou encore sa saucisse au couteau accompagnée d’une purée maison. Les plats démarrent à 2,90 euros pour les œufs mayonnaise et ne vont pas plus haut que 18,80 euros pour l’onglet de bœuf.
- Le Bouillon du Coq, 37 Bd Jean Jaurès, 93400 Saint-Ouen-sur-Seine
- https://lebouillonducoq.com
© DR
La cuisine bourgeoise dans un bistrot : Bistro Hasard
Finalement, la cuisine bourgeoise n’est-elle pas cette gastronomie qui rassure et nous rend heureux tout simplement parce qu’elle nous fait du bien dès le premier coup de fourchette ? Au Bistro Hasard, le chef Matteo Renzi ressort de nos grimoires personnels de doux souvenirs aussi savoureux qu’un cordon-bleu, une blanquette de veau ou un croque-monsieur. Son secret : tout cuisiner maison, pour indéniablement titiller le petit gourmand qui sommeille toujours en nous. Faire simple et bon. Telle est la ligne directrice de ce chef globe-trotteur formé à l’Atelier Robuchon et chez le légendaire restaurant tokyoïte RyuGin. Même s’il puise ses racines en Italie, la toque manie parfaitement les codes des traditions culinaires françaises depuis son passage au Café de Luce en tant que chef, sans se priver de donner quelques twists à ses assiettes.
- Bistro Hasard,7 Rue de l'Isly, 75008 Paris
- https://bistrohasard.com
La cuisine bourgeoise dans un café : le Café des Ministères
La tradition n’empêche pas l’innovation, et encore moins l’audace. Voilà sans doute l’ingrédient clé du chef Jean Sévègnes. Au Café des Ministères, cet ancien fidèle de la brigade Ducasse met son talent au service de produits locaux bien sourcés pour les honorer dans des recettes traditionnelles françaises qui ne manquent ni de gourmandise ni d’assaisonnement. En ouvrant son Café en 2019 aux côtés de sa femme Roxane, qui adapte les choix bachiques en fonction des plats, on peut le désigner comme l’un des incontournables de cette vague bourgeoise. "Nous sommes bien sûr posés la question de service ou non une cuisine « étoilée », mais nous voulions un lieu qui ressemble à une maison, notre maison. Notre envie s’est portée sur l’ambiance bistrot" nous explique le chef Jean Sévègnes. Et d’ajouter "les plats en sauce ont composé l’idée majeure. Il fallait peu d’éléments dans l’assiette, mais vraiment cuisinés".
© Marielle Gaudry
Le vol-au vent dit "Grande tradition", à base de ris de veau, de volaille fermière et d’un jus truffé hyper racé, est devenue l’assiette la plus emblématique du Café des Ministères. Sans doute l’un des meilleurs de Paris. "Il est d’abord arrivé comme une suggestion du vendredi au départ. Mais nous ne pensions pas le mettre en avant au départ. Aujourd’hui, il est inconcevable de l’enlever de la carte !" reconnaît le chef qui considère le vol-au-vent "comme un vrai plat du dimanche". "Beaucoup de clients nous disent que c’est un souvenir enfoui, un plat que leur faisait leur grand-mère » conclut Jean Sévègnes qui savoure la popularité de ce plat « que tout le monde connaît et peut s’approprier avec un souvenir ".
- Café des Ministères, 83 Rue de l'Université, 75007 Paris
- https://www.cafedesministeres.fr
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