48 heures au Havre
Normandie/2023
François Ier, Claude Monet, Raoul Dufy, André Malraux, Auguste Perret, Oscar Niemeyer… L’histoire du Havre est un étonnant name-dropping. Détruite par les bombes et reconstruite dans une modernité qui lui a offert unité et identité, la ville s’est dégagée de sa grise image portuaire pour attirer les regards vers ses maisons, ses jardins et ses musées colorés. Un renouveau à découvrir.
© Sabina_Lorkin-Anibas
Dunkerque, Lorient, Toulon… Le Havre appartient au club des villes blessées, celles que les Alliés prirent dans leur viseur à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui subirent des bombardements dévastateurs. Elles en ont toutes gardé de cuisants complexes. Comme ses sœurs, Le Havre a compté ses morts et rebâti à la hâte de quoi loger les sinistrés. Par chance, Auguste Perret, homme à poigne déjà auteur du palais d’Iéna à Paris, roi du béton-rapide-et-pas cher et du système poteaux-poutres, prit le chantier à bras le corps, débarquant avec 100 architectes. Rapide et pas cher, certes, mais aussi durable : on est surpris aujourd’hui de voir ces ensembles beige et gris, partant en éventail depuis le port, aussi bien conservés. Et franchement estomaqué en visitant l’appartement témoin : des volumes traversants et lumineux, luxueusement parquetés ; des cuisines-bloc Cepac («ancêtre» d’Ikea) hautement désirables ; des meubles René Gabriel à tomber. Au point que l’Unesco a classé l’ensemble. Pour un peu, vous signeriez tout de suite pour emménager dans cette modernité inégalée. De préférence dans un immeuble orienté vers le port, histoire d’aller tous les matins écumer les étals débordant de turbots, de soles et de coquilles saint-jacques du marché aux poissons du quartier Saint-François, et puis de contempler toute la journée le bal des bateaux jusqu’à l’estuaire de la Seine, où la mer et le fleuve s’embrassent.
Ah ! le port. Les ports, plutôt : on doit à François Ier la partie historique réservée à la plaisance et la croisière. Plus tard, au XVIIe siècle, les armateurs couverts d’or grâce au commerce du café, du coton et du chocolat (mais aussi, moins glorieux, celui des esclaves) bénirent le choix de François. Puis au XXe siècle, c’est Jacques Chirac qui apporta sa pierre à l’édifice en lançant en 1995 son Port 2000, dans l’idée de rivaliser avec ceux des pays nordiques (il coûta quatre fois le prix du viaduc de Millau). Ce gargantuesque équipement, fief des dockers, peut digérer quotidiennement jusqu’à 6 500 containers, accouchant d’une noria de poids lourds qui laisse rêveur. Et puis, plus au nord, on n’oubliera pas le port des matières premières, avec l’image moins glamour de ses pétroliers, méthaniers, gaziers et autres cimentiers.
Le Havre préfère ramener le regard vers ses bateaux de croisière (même si l’on n’en trouve étonnamment trace muséale nulle part, la ville fut le port d’attache du France et du Normandie). 350 000 passagers y transitent chaque année et, bientôt, la gare maritime sera liftée pour pouvoir en accueillir deux fois plus. Si, il y a dix ans encore, les croisiéristes se hâtaient de filer vers Deauville, le Mont-Saint-Michel ou Paris, la moitié d’entre eux décident désormais de s’attarder en ville. La «Venise industrielle» a donc bien œuvré pour changer son image de marque, invitant, depuis le 500e anniversaire de sa fondation en 2017, des artistes de renommée internationale pour poser sur elle un nouveau regard. Sous la houlette de Jean Blaise – directeur artistique du «Voyage à Nantes» – «Un été au Havre» ancre chaque année un peu plus ce statut de destination urbaine et culturelle.
Vous rentrez donc vers votre appartement Perret en croisant les œuvres monumentales semées au fil des ans. Vous venez de faire une promenade au sommet de la «Côte», dans ces somptueux Jardins suspendus – comme à Babylone – qui rendent hommage aux botanistes explorateurs qui embarquèrent depuis ces quais. Vous êtes redescendu à pied via de romantiques escaliers montmartrois, frôlant un carmel où les moniales fabriquent de délicieuses confitures au cœur d’un jardin d’éden ouvert aux passants. Vous avez admiré une fois de plus les maisons d’armateurs (l’une d’elles est devenue musée) et la villa Dufayel, souvenir de ce promoteur qui voulut faire de sa ville, dans les années 1900, un nouveau Deauville. Vous avez pris votre apéro au Bout du Monde, ce petit bar de plage perdu face à l’horizon et vous êtes rentré par la promenade en front de mer qui s’étire sur 4 kilomètres depuis Sainte-Adresse et longe tant d’incroyables villas. Au passage, vous avez pioché un bouquin dans les rayons de la chaleureuse bibliothèque nichée au cœur du «Volcan» de Niemeyer.
Devant le musée d’art moderne André-Malraux (MuMa), qui héberge une éclatante collection d’impressionnistes, vous avez eu une pensée pour Claude Monet. Il s’efforça, depuis sa chambre de l’hôtel de l’Amirauté, de fixer l’impalpable lumière de la Manche dans son Impression, soleil levant qui changea l’histoire de la peinture. Cette lumière changeante, vous la contemplez, vous aussi, depuis votre balcon. L’horizon est émaillé de lucioles scintillantes : à la tombée de la nuit, ces monstres des mers se hâtant vers le premier port français deviennent eux aussi des œuvres d’art. Cachées ou pas, elles sont partout ici.
G. B.
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