48 heures à Passy
Paris - Île-de-France/2022
Enclave huppée du 16e arrondissement, Passy n’est plus tout à fait ce quartier figé dans les clichés. Des adresses de charme lui confèrent un certain esprit de village. Sous les pavés, une autre histoire s’écrit.
© Louise Allavoine - Paris Musees
« Auteuil, Neuilly, Passy c’est pas du gâteau / Auteuil, Neuilly, Passy, tel est notre ghetto… » Qui n’a pas fredonné le tube des Inconnus des années 1990 ? Foulard de soie et loden vert, ces BCBG-rappeurs scandaient en rythme « Y en a marre du Fauchon, du Hédiard, du saumon, du caviar » dans un humour décapant. En 2007, le groupe de rap Passymal (plutôt bon, d’ailleurs) renchérissait au micro : sur un flow « rapodie », moqueur et « hardcore comme une rupture de stock chez Givenchy », trois lascars étalaient leurs problèmes de gosses du 16. Un succès aussi fulgurant qu’éphémère sur internet… et un coup de publicité pour le quartier qui aurait fait le bonheur de n’importe quel office de tourisme. Passy s’en serait bien passé. Ce bout du 16e arrondissement, coincé entre le Trocadéro et la Maison de la radio, la Seine et le bois de Boulogne, aime la discrétion.
Chic et bon ton, bling-bling à de rares occasions, les bonnes familles s’y transmettent les appartements ou les immeubles de génération en génération. Les étrangers y investissent à deux pas de la tour Eiffel, avec un prix du mètre carré qui oscille entre 11 500 € à 14 500 €, s’envolant jusque 20 000 € pour les biens d’exception. Bonnes écoles (parmi les meilleures de Paris), nombreux espaces verts et l’A13 à portée de roue pour les week-ends en Normandie… Les agents immobiliers n’ont guère à argumenter. Ajoutons, côté culture, le musée Marmottan Monet et le théâtre Le Ranelagh et, côté architecture, les immeubles Art nouveau, pour qui aime marcher le nez en l’air. Sans oublier les fantômes du passé, de Rossini à René Goscinny.
Passy, c’est aussi la promesse du calme dans une homogénéité sociale et un entre-soi qui lui donne tout son vernis. Mais pas si vite ! Thérèse et son serre-tête-brushing, c’est fini ! Ses enfants ont grandi et traversé les océans – ou simplement la Seine, un autre monde – avant de revenir auprès de papa et maman. Cette génération de bobos est friande de nouvelles adresses qui fleurissent. Passy frémit, et l’ennui n’est plus au coin de la rue. -L’hôtel Brach, décoré par Philippe Starck, fait partie de ce mouvement.
Bien sûr, la rue de Passy reste la colonne vertébrale commerçante. On y foule ses trottoirs le samedi, les bras chargés de sacs de grandes enseignes, tout en papotant avec les voisins comme au salon. Quant à la rue de -L’Annonciation, elle est dédiée aux commerces de bouche. Laquelle nous mène à Balzac écrivant dans Physiologie du mariage : « La plupart des hommes se promènent à Paris comme ils mangent, comme ils vivent, sans y penser… Oh ! errer dans Paris ! adorable et délicieuse existence ! Flâner est une science, c’est la gastronomie de l’œil. Se promener, c’est végéter ; flâner, c’est vivre… »
Flânons donc jusqu’à sa porte, ou plutôt celle de M. de Breugnol – son nom d’emprunt pour éviter, dit-on, ses créanciers. Au 47, rue Raynouard (entrée au 49) se dresse le musée de la Maison de Balzac au charme fou derrière ses volets verts et son toit d’ardoises. Rénové juste avant la pandémie, il y flotte un air champêtre grâce au paysagiste-permaculteur Rémi Algis qui en a redessiné le jardin. Au milieu des herbes folles et face à la tour Eiffel, la citronnade du salon de thé Rose Bakery donne l’illusion de boire avec Balzac entre deux chapitres de La Comédie humaine – qu’il rédigea dans son atelier de travail aux murs tendus de tissu rouge.
Ici, Passy invite à prendre le temps. On hume son atmosphère d’antan quand il n’était encore qu’un village en coteaux. De jolies propriétés y fleurissaient, entourées de parcs et de jardins en terrasse. Les Parisiens fortunés venaient y chercher un air sain et s’offraient des cures dans les eaux locales aux propriétés considérées comme thérapeutiques. Annexé à la capitale en 1860, le village disparaît lentement. Des poches ont subsisté. Ainsi, au bout d’un escalier flanquxé de lampadaires à la Doisneau, la rue Berton serpente entre les hauts murs. Derrière l’un d’eux, l’ancien hôtel particulier de la princesse de Lamballe, amie de la reine Marie-Antoinette, et aujourd’hui siège de l’ambassade de Turquie.
Les surprises continuent. On pensait le quartier guindé et sérieux. On lui découvre un certain sens de l’ironie. Où d’autre trouver un musée du Vin au coin de la rue des Eaux ? Plus connu par les touristes étrangers que par les Parisiens, ce musée présente près de 2 000 objets liés à la viticulture sous des voûtes étonnantes. C’est qu’il a investi les anciennes carrières de calcaire grossier du XIVe siècle qui fournissaient les pierres de taille à Paris – notamment pour la construction de ponts. Ces galeries de 7 km, longeant la Seine, servirent également en partie au cellier des moines. Lesquels récoltaient la vigne sur la colline du Trocadéro. Pas si sage, Passy ! Car on se doute bien que tous ces litres ont été bus. Loin d’être un long fleuve tranquille, Passy invite à revoir les clichés qu’on lui prête. Et, peut-être, pour une fois, à mettre de l’eau dans son vin.
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